C'est toujours un peu gênant de se faire rescaper par celui qu'on avait promis de terrasser. Voilà ce qui arrive au fabricant de logiciels Corel, tiré de l'agonie financière grâce à une participation de 135 millions$ de Microsoft.
Moins de deux mois après le départ surprise de Michael Cowpland, fondateur du manufacturier de logiciels d'Ottawa (et adversaire auto-proclamé de Bill Gates), le quart de Corel passe ainsi dans le giron du géant de Redmond.
Pour obtenir le quart de Corel, Microsoft y a déjà investi 135 millions$ US en rachetant plusieurs millions d'actions, précise un communiqué. Les marchés ont bien accueilli la nouvelle propulsant le titre de Corel à plus de 10$ à l'ouverture, un niveau qu'il n'avait pas touché depuis la débâcle printanière. L'action a clôturé la journée en hausse de 60% à 8,85$.
Corel, qui voit ses ventes décliner, avait annoncé dernièrement une perte de près de 11 millions$ US au troisième trimestre.
C'est cette perte qui avait poussé Cowpland à se retirer. Il avait été remplacé sur une base intérimaire par Derek Burney, qui assurait la direction technologique de l'entreprise. Pendant la hausse soudaine du titre, M. Burney a été confirmé en tant que P.D.G. permanent de Corel.
Les deux sociétés vont travailler ensemble sur le développement et le marketing de nouveaux produits d'application de la plate-forme .NET de Microsoft.
Principalement, Microsoft veut développer une suite d'outils de développement de logiciels commune avec celle de Corel. On sait que Corel avait mis le cap sur Linux en adaptant ses produits, initialement conçus pour tourner sous Windows, à la plate-forme du pingouin.
Microsoft pourra ainsi mettre la main sur de l'expertise non négligeable concernant l'interaction Windows-Linux.
L'initiative .NET, dévoilée cette année par le groupe de Bill Gates, vise à mettre directement sur Internet des logiciels de Microsoft, incluant également le système d'exploitation Windows, afin d'alléger les disques durs des ordinateurs personnels.
Ô coïncidence, Linux est une version du système d'exploitation Unix. Ce dernier a été développé (il y a plus de 30 ans...) pour une architecture client serveur réseautée, ce à quoi devrait ressembler l'initiative .NET, toujours en développement.
Les intenses travaux qu'ont accompli les ingénieurs de Corel pour faire tourner sous Linux des logiciels conçus pour Windows permettront ainsi à Microsoft d'accélérer l'adaptation de ses logiciels pour une architecture client-serveur.
Acheter la paix
Les motivations de Microsoft pourraient également être plus judiciaires que technologiques.
Bien que Corel et Microsoft occupent le même segment de marché, c'est à dire les systèmes d'exploitation et les applications de bureautique grand public, Microsoft a grand besoin de compétition. À tout le moins aux yeux des autorités anti-monopole américaines.
Corel fait office de lilliputien aux côtés de Microsoft. Qu'à cela ne tienne, tant que la firme d'Ottawa est en santé, Bill Gates et ses sbires peuvent toujours clamer qu'il y a de la concurrence dans le marché.
D'ailleurs, Microsoft semble avoir l'intention de laisser la gestion de Corel en paix car malgré son importante participation au capital: elle a refusé de prendre un siège au conseil d'administration.
La manoeuvre ressemble en bien des points à l'investissement de Microsoft dans Apple en 1997 (voir notre article), qui avait permis à Apple de survivre à des moments difficiles tout en apaisant les soupçons de la justice américaine.
Pour un accès privilégié à de nouvelles technologies qu'il cherchait et une parade aux défenseurs de la concurrence, disons que 135 millions$, ce n'est pas cher payé pour la firme de l'homme le plus riche au monde...