Le Dr Dominique Rueff a publié sa Bible des vitamines et des suppléments nutritionnels chez Albin Michel. LaNutrition.fr la interrogé sur les réelles efficacités des vitamines et autres compléments alimentaires. Loccasion de revenir sur l étude parue dans le journal Lancet qui a mis en émois toute la communauté scientifique après avoir annoncé que les antioxydants augmentaient les risques de cancer. Interview.
Existe-t-il une différence entre compléments alimentaires et suppléments nutritionnels ?
Cest une excellente question car la différence entre les deux est fondamentale. Les compléments alimentaires sont des compléments qui peuvent être utilisés lors dune alimentation déficitaire. Pour des raisons environnementales par exemple, une partie de la population peut avoir une déficience particuliére. Les raisons de cette carence dépendent souvent de la façon dont les gens vivent, cuisinent, de la qualité de leur alimentation, de lendroit où ils habitent. Ils utilisent trop de produits préparés, trop salés, trop gras, trop sucrés
Leur cuisine est souvent monotone. De plus, lorsque que lon vieillit, le corps est moins performant. Les personnes âgées ont souvent de mauvaises dents, lestomac ne fonctionne pas bien, la digestion est loin dêtre parfait. Sans parler quaprès 50 ans, on prend beaucoup de médicaments.
Dans tous ces cas, les personnes ont besoin de compléments alimentaires, même si elles jugent que leur alimentation est variée.
Les suppléments alimentaires, eux, couvrent un domaine plus vaste. Ils sont pris pour supplémenter une fonction. Lexemple du sportif est le plus parlant. Pendant leffort, il y a un stress oxydatif. Si le sportif ne prend pas dantioxydants, ses fonctions antiradicalaires seraient déficientes. Ici, cela dépend des problèmes que vous avez.
Et les vitamines, compléments alimentaires ou suppléments nutritionnels ?
Comme tous les nutriments, les vitamines font partie des deux catégories. Tout dépend en fait des conditions dans lesquelles elles sont prises.
Vous conseillez de prendre des suppléments nutritionnels. Mais lesquels ? A quel âge ? A quelle fréquence ?
A chaque âge sa situation. Mon « public » est ladulte de plus de 12 ans. Les adolescents sont en première ligne puisquils ont de nombreuses déficiences nutritionnelles quil est difficile de compenser plus tard.
Aujourdhui, tout le monde devrait consommer trois pilules tous les matins. Il y a, selon moi, des choses prioritaires à prendre. Une de poly-vitamines, une avec des minéraux et une dernière enfin avec des antioxydants. Ceci est pour moi le B.A.-BA.
Après, il peut être utile de prendre dautres vitamines à certains moments de lannée. Ainsi, au début de lhiver, certaines personnes sont fatiguées, voire dépressives. Avec la diminution de la lumière, il y a parfois une diminution de la forme. Cela peut être le moment, si lon sait que lon est sujet à ce genre de troubles, de prendre un peu plus de vitamines, afin de passer le cap.
Si lon est fumeur, on devrait prendre plus de vitamine C ; si lon est sportif, ce sont les antioxydants que lon devrait prendre. En cas de nervosité passagère, un peu de calcium et de magnésium de façon temporaire. En fait, il est nécessaire de faire du cas par cas.
Peut-on décider de prendre seul des vitamines, sans consulter de médecin ?
Oui car si jai fait ce livre, La Bible des vitamines et des suppléments nutritionnels, cest pour donner aux gens envie de prendre leur santé en main. Je leur donne les outils. On peut réfléchir à sa propre santé, quand on a des éléments de réflexion. Et de toutes les façons, cest aussi le rôle du pharmacien de servir de filtre.
En revanche, il est indispensable de connaître ses limites et dêtre conscient de lexistence de ces limites. Avec de vrais problèmes, on ne peut pas tout gérer seul. Dans ce cas, mieux vaut consulter. Lidéal est daller voir des professionnels de santé, à condition que ces derniers soient bien formés
Il est important de faire un bilan, un état des lieux, un inventaire de toutes ses fonctions physiques, psychologiques et de son environnement.
Y-a-t-il des personnes qui ne peuvent pas prendre de vitamines ou de suppléments nutritionnels ? Existe-t-il des contre-indications ?
Il existe en effet des cas médicaux qui ne doivent pas prendre de vitamines. Mais ce sont des cas extrêmement rares. Les suppléments nutritionnels ou les compléments alimentaires vendus en France ne sont pas des médicaments. Il ny a donc pas de contre-indications aux doses normales dutilisation.
Cependant, la vitamine A et la vitamine D sont, au niveau légal, des médicaments. Il y a donc des effets secondaires qui doivent normalement figurer sur lemballage.
Une carence, en vitamines par exemple, peut-elle être dangereuse pour la santé ?
Les déficits en fer ou en vitamine B peuvent entraîner chez certains fatigue et dépression. Dans ce cas précis, les thérapies médicamenteuses sont inutiles.
Le manque de zinc, présent dans les produits de la mer, fait vieillir les gens. Ces personnes peuvent avoir des troubles hormonaux ou être moins fertiles. Le déficit en zinc, visible lors danalyse, est très souvent lié à lenvironnement.
Les vitamines B sont aussi des éléments basiques. Même si, normalement, elles devraient être fabriquées naturellement par notre flore intestinale, on peut être carencé à cause du déséquilibre alimentaire ou dune prise trop importante danti-inflammatoire ou dantibiotiques.
Existe-t-il des pathologies sur lesquelles les vitamines nont aucun effet, voir des effets néfastes ?
Au pire, elles sont inutiles. Mais il ny a pas deffet néfaste. On peut se supplémenter inutilement. Doù lutilité et limportance de faire un bilan avec un professionnel de la santé. En France de plus en plus de médecins sintéressent au sujet, et ils nont pas encore trop de pression
On a de la chance !
Les compléments alimentaires peuvent-ils remplacer les médicaments ?
Non, les compléments alimentaires ne remplacent pas les médicaments. Soit ils viennent en amont soit en parallèle dun traitement médical, pour tenter daméliorer son effet.
Avec ces compléments, on peut prévenir la maladie ou tout au moins la faire reculer. Il faut savoir que parfois, la recherche sur les vitamines devance celle sur les médicaments. Pour le cholestérol par exemple, les médicaments ont fréquemment des effets secondaires. Depuis longtemps, on sait que lacide nicotinique est un hypocholestérolémiant et un hypotriglycéridémiant. Pourtant, la vitamine B3 na pas de succès commercial car elle est difficile à manipuler et la niacine entraîne des bouffées de chaleur et des picotements. Mais, depuis quelques mois, il existe une forme-retard, linositol hexanicotinate. Cette substance, composée de 6 molécules de vitamine B3 (hexa) pour une molécule dinositol, peut être utilisée à la place du médicament pour faire baisser le taux de cholestérol. LIHN risque dailleurs de devenir un médicament. Comme quoi la recherche sur les vitamines a parfois une longueur davance sur la recherche médicale.
On essaie finalement de tout associer afin de limiter la prise de médicaments et de diminuer ainsi les risques, notamment deffets secondaires, liés à la prise régulièrement de traitements médicamenteux.
Pour finir, que pensez-vous de la récente étude du Lancet qui a fait beaucoup de bruit, selon laquelle la prise dantioxydant augmenterait la mortalité par cancer digestif ?
Cest une étude purement statistique incluant des groupes de cancers digestifs, traités bien entendu par des thérapeutiques classiques. Personne na jamais prétendu que des antioxydants ou tout autre nutriment étaient susceptibles de traiter avec succès un cancer en pleine évolution, surtout sil sagit de cancers du foie et de cancers digestifs dont on sait que même les traitements classiques les plus agressifs ne parviennent pas toujours à venir à bout.
Sur les quatorze études examinées dans la méta-analyse du Lancet, seules trois concernent des personnes en bonne santé. Pour lune dentre elles, létude dite ATBC, on retrouve le problème dune supplémentation dune population à risque (travailleurs de lamiante) avec de fortes doses de bêta-carotène de synthèse. Cest une étude déjà ancienne, aux méthodes très critiquées, qui fait dériver les résultats de la méta-analyse à la limite des seuils statistiques significatifs. Il est totalement illogique den tirer des conclusions « alarmistes » et « alarmantes » comme le font de manière bien irresponsable certains médias.
Trouver une surmortalité dans des groupes hétérogènes de cancers évolués et traités avec des thérapeutiques multiples et lattribuer à la prise de vitamines antioxydantes est pour le moins un raccourci plutôt discutable tant au plan de léthique que de la science.
En conclure, ou même simplement laisser supposer, que tous les usagers de ces mêmes suppléments, quils soient en bonne santé ou souffrant dautres pathologies que celles prises en compte dans létude, courent un risque de surmortalité relève dun scientisme primaire ou dune volonté délibérée de délivrer un message alarmiste ou, encore, dune inconscience inquiétante.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous avons à notre disposition de nombreuses études cliniques dintervention qui démontrent que lapparition dun certain nombre de maladies, y compris de cancers, est en relation avec un statut antioxydant déficitaire. On peut citer létude épidémiologique « des infirmières » (Nurses Health Study) sur 89.000 femmes, qui en 1998 a montré un risque de cancer du côlon réduit de 75% grâce aux vitamines. Plus près de nous, létude française SU.VI.MAX, une étude dintervention sur 19 000 volontaires ayant pris des vitamines antioxydantes, a conclu à une diminution de 31% des cancers chez lhomme.